jeudi 29 octobre 2009

Jour jessépucombien

Je l’avoue, j’ai perdu le fil. Pas le fil à coudre, non, j’en ai une boîte remplie, et je sais où elle est. J’ai eu le temps de tout bien organiser avant que ma visite arrive… si l’envie me prend de me tricoter une paire de chaussettes et que ma grand-mère est dans les parages, le tour est joué. Non, j’ai plutôt perdu le fil de mon récit. Shame on me. J’ai sans doute perdu du coup tout mon mince lectorat, famille comprise, c’est tout dire. Mais depuis, mes claquettes ont beaucoup voyagé, et je me suis ramassé un petit baluchon d’histoires savoureuses à vous raconter.

Mais pas ce soir, non. Parce qu’au lieu d’écrire, aujourd’hui, je suis allée acheter des laisses à mes minous. C’est bizarre, je vous l’accorde. Bon, comme une idée en amène une autre et que je suis spécialiste pour passer de l’une à l’autre sans conclure l’une ou l‘autre, je vais rester fidèle à moi-même et vous partager le pire drame de mon aventure en Californie.

On est le 2 septembre. Ma copine et moi, on vient de passer une nuit digne d’un film d’Alfred Hitchcock. Bon… je vous raconte la nuit, il le faut bien. On est le 1er septembre. Ma copine et moi, dis-je, revenons d’un souper extraordinairement bon dans le seul restaurant encore ouvert à Kanab qui sert de l’alcool (état mormon oblige), en route entre Bryce Canyon et le Grand Canyon. La meilleure soupe aux tomates que j’ai goûtée de ma vie. Mes papilles en frétillent encore. Le personnel « artiste » affiche et vend ses œuvres dans le resto : des photos de gueules de chiens, gros plans sur des museaux ou des pattes, sur fond blanc, des flous, magnifique. Une galerie à l’étage… un peu beaucoup très moche, elle, je l’admets, mais la bouffe et l’accueil : 5 étoiles. Et c’est juste à côté d’un Pawn Shop qui vend des diamants, de l’art indien et… des armes. Charmant. Trêve de détails sans importance, nous avons repris la route depuis maintenant plus d’une heure et demie sans croiser personne, et je souligne, personne. Bon, je l'aurais bien souligné, mais l'application de mon blog ne me le permet pas. Nous n’avons plus de réception satellite pour le GPS, ni cellulaire pour appeler le 911 si on se fait attaquer par un des quatre-vingt-douze mille deers qui nous regardent passer en broutant la gravelle au lieu d’aller gambader en bondissant gaiement dans le 99,999% de nature sauvage qui nous entoure. Vous avez senti l’énervement ici… Je l’ai trouvé tout mignon le premier deer qu’on a croisé à Zion, « Oh! qu’il est mignon, le petit deer! » Clic, clic, clic, 20 photos du deer! Eh bien j’en ai eu ma dose, des deers. J’en ai vu plus en une semaine que je n’en verrai jamais de toute ma vie, des putains de deers. La prochaine fois que je joue à Fais-moi un dessin, il n’y a pas personne qui pourra confondre mon deer avec un éléphant. Nous étions donc en route vers le Grand Canyon dans le noir absolu, seules au monde à nous enfoncer dans la nature sauvage. Parce que bien entendu, nous n’allions pas aller visiter le côté sud, parce que trop touristique, non, on a choisi le côté nord, bien plus authentique. Je ne sais pas si vous l’avez senti, mais il est supposé y avoir de l’ironie dans cette dernière phrase. Toujours est-il, nous arrivons enfin au Grand Canyon. Il est environ… minuit et demi ou une heure du matin. « Grand Canyon ». À quoi pensez-vous? Des rochers et des précipices. Je vous rappelle qu’on est seules au monde, qu’on est dans le noir absolu et qu’on ne voit que ce que mes hautes éclairent. Je parle de celles de la voiture, là. Commencez pas à vous imaginer des affaires, ma gang de… enfin, vous voyez le tableau. Un tout petit chemin sinueux bordé de petits yeux brillants qui broutent la gravelle. La barrière du parc est levée. On entre dans le Grand Canyon. J’ai les bras tendus, les paumes collées au volant, les yeux écarquillés, les épaules crispées, la tête dans le pare-brise. Depuis une heure et demie.

- Une traversée.

C’était notre code. Pour pas m’énerver avec des « TENTION!!!!!!!!!!! ». Je ne parle pas de la tension, même si elle se faisait bien sentir, non, je parle de
« tention », comme dans « attention » débité tellement vite qu’on omet de prononcer la première syllabe.

Je m’arrête. Laisse passer les %*#$%*$ de deers. Mais… mais qu’est-ce que…

- Fffuck!

Pas un petit « fuck » net frette sec, un long « fuck », avec au moins 4 ou 5
« f ». Ça sonne plus comme un « phoque », avec 6 ou 7 « ph ». Devant nous, pas Brad Pitt, pas Jack Nicholson, non, un troupeau de bisons. Pas deux ou trois, deux ou trois MILLE, avec des bébés, des papas, des mamans, des tantes, des oncles, des laitiers, des mamies, des papis et sans doute quelques consanguins. Ils sont tous là à traverser notre petit bout de chemin sinueux au beau milieu du Grand Canyon, dans le noir et le silence absolu.

- Fais demi-tour.
- Mais je peux pas! On sait pas si c’est le vide à côté!
- Mais tu veux pas rester là!
- C’est pas que je veux pas, je peux pas.

Et j’éteins tout.

- Mais qu’est-ce que tu fais là!
- Shuuut… on va passer pour un rocher.

Silence et rires nerveux. Au beau milieu du Grand Canyon en pleine nuit dans le noir absolu. Tout ce qu’on entend, c’est nous qui chuchotons et des bisons qui reniflent et qui beuglent. On les voit même plus. On distingue juste leur silhouette monstrueuse dans la pleine lune.

- Ils sont arrêtés, non?
- Putain ils bougent plus. Ils vont pas rester là au beau milieu du chemin! Ils ont tout le Grand Canyon à eux tout seuls et ils viennent se foutre à 6 mètres de nous pour nous bloquer le chemin au moment même où on passe? Non mais c’est pas possible! Dis-moi pas que notre destin est de mourir ce soir attaquées par des bisons au beau milieu du Grand Canyon à 1h du mat!
- Fais demi-tour
- Est-ce que ça court un bison?
- Ça a des pattes, qu’est-ce que tu crois?
- Je peux pas.
- Ils avancent vers nous là, non?
- Oh putain. Mamaaaaan… Ok, je fais demi-tour. Prête?
- Vas-yyyyy!
- Fffffffuck.

Je démarre le moteur. Eh ben je peux vous dire que je ne suis pas peu fière de ma petite bagnole chérie. Avec mon moteur puissant qui vrombit plus fort que le plus gros bison avec le plus gros des anneaux dans le nez, je leur ai donné la frousse! Ils ont pris leurs pattes à leur cou bossu et se sont mis à fuir en troupeau bien cordé comme dans les films, avec la poussière autour, des traces de petit pipi et le bruit des pattes qui frappent… ah, c’était pas un précipice… j’aurais pu faire demi-tour finalement…

J’allume tout de go mes phares en poussant un rire machiavélique pour leur donner encore plus la frousse et en moins de deux, le champ est libre. On est sauvées!

Mais le sort n’allait pas finir de s’acharner pour autant. Quelques mètres plus loin, juste pour en rajouter une couche, je suis forcée de m’arrêter pour une autre traversée… celle de la souris. Pas un gros rat facile à repérer, là. Une minuscule petite souris qui arrête sa traversée en me voyant arriver, et qui, prise de panique, se met à zigzaguer sur la route en éclaireur. C’est parce que ça a beau courir pour sa vie, une souris, ça s’apparente drôlement à la vitesse d’une tortue. Et moi qui aime trop les animaux, je vais pas risquer de l’écraser quand même, alors je roule à même pas 1 mile à l’heure derrière elle. J’ai l’impression de vivre la version psychologique des douze travaux d’Astérix. Est-ce que j’ai besoin de vous dire à quel point je suis attentive pour l’avoir spottée celle-là? Est-ce que j’ai besoin de vous dire que je commence à avoir les yeux un peu secs, une petite douleur dans le cou et une écœurantite aiguë de la nature sauvage, rendue là? Mais trop c’est trop, on ne va pas y passer la nuit. J’enligne mes roues de chaque côté et je fais une petite prière pour pas qu’elle change sa trajectoire au moment où je passe. Silence. Pas de couic. C’est bon signe. Ma conscience est préservée.

On arrive enfin au Grand Canyon Lodge. Plus une seule place dans le stationnement à part bien sûr tout au fond, là où le lampadaire est brûlé. C’est là que les gens se font piétiner par un troupeau de bison, enlever par des extra-terrestres ou violer par une famille de deers. Mais on n’a pas le choix, on doit se garer et faire le reste à pied. Tant pis, on déplacera la voiture en revenant prendre nos affaires. Je me gare en plein là où j’ai pas le droit. C’est beaucoup plus sécuritaire. Là ça va faire. C’est bien assez que le malheur nous coure après, on va pas en plus faire exprès. Et on fait le reste à pied, jusqu’à l’auberge. À mi-chemin, on aperçoit un gamin courir de l’accueil à un autre bâtiment. Ça donne la chair de poule. Mais pas autant que l’accueil. L’endroit est désert, sombre et lugubre. Une vieille radio en bois qui grésille crache une musique des années 50. On a le poil des bras comme les cheveux d’un punk, sans la coloration. Nous, c’est plutôt la décoloration. Enfin, passons. Le gamin revient. C’est en fait lui qui est seul responsable de l’accueil à une heure aussi tardive. Un adolescent prépubère, le visage boutonneux, l’œil rieur.

- Il découpe des petits enfants dans ses temps libres, lui.

Ma copine et ses charmants commentaires. Comme si personne ne pouvait la comprendre. Elle se prend pour une Québécoise en France… (que personne ne se vexe, elle est Française – c’est juste une petite blague). Si ça se trouve, c’est un adolescent prépubère surdoué qui possède un doctorat en français langue seconde, ou encore plus rare, copine, un Français en échange aux États-Unis. Si je ne me retenais pas, je vous raconterais un autre épisode du voyage là tout de suite maintenant… mais je me retiens. Parce que ça va vous couper l’appétit. Hein, copine?

Il finit par nous remettre les clés de notre chambre ainsi que le plan pour nous y rendre. C’est dans le bâtiment type « motel » le plus éloigné de l’accueil. Évidemment. Il nous conseille de nous rapprocher le plus possible en voiture, de faire le reste à pied avec nos valises, puis de retourner nous stationner.

- Is it really that far? Can’t we just park and walk?

Écoutez bien ce qu’il dit. Faut entendre « I » comme un long « I » hésitant.

- IIIIIII… wouldn’t walk, qu’il dit avec son œil rieur.

On s’entend ravaler notre salive en un concert d’épiglottes qui clapotent. À ce moment-là, je m’attends à ce qu’on me mette un sac à poubelle sur la tête. Mais il n’en est rien. Ils attendent peut-être qu’on soit dans notre chambre…

De retour au stationnement, on s’obstine un peu pour qui va garer la voiture. Je finis par y aller, mais je peux vous dire que j’ai fait ça plus vite que mon ombre. Lucky Luke ne dégaine pas plus vite que je suis sortie de la voiture ce soir-là.

Juste pour faire un petit rappel, cet épisode était une parenthèse pour en venir au pire drame de mon aventure en Californie. Là, mon chum doit être fier de moi. Moi qui perd toujours le fil… par contre je vais rester fidèle à moi-même et ne pas conclure aujourd’hui. Je commence à avoir des petites crampes dans les phalangettes.

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Objectif du jour : Reprendre l’écriture de mon blog.

Fait saillant : J’ai réussi!

Pensée du jour : « Oups... je n'ai toujours pas expliqué pourquoi j'ai acheté des laisses... »

4 commentaires:

Unknown a dit…

Cela fait toujours plaisir de te lire. J'ai hâte de suivre la suite de tes aventures...

Sarah Parizeau a dit…

Merci Corinne!
Je vais essayer d'être plus régulière maintenant que j'ai plus de temps pour moi :)

G. a dit…

Enfin de retour! J'adore tes histoires. Continue s'te plaît :)

Annick a dit…

Too funny.... especially the part on the Bisson family tree attack.... LOL LOL LOL LOL LOL LOL et ta voix qui résonne dans mes oreilles au bord du trottoir de Prince Arthur

Love it... keep them coming!

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